Ruptures conventionnelles et difficultés économiques

Par Me Xavier Berjot – Avocat

Plus délicate est la question de savoir si le contrat de travail peut être rompu au moyen d’une rupture conventionnelle, en présence de difficultés économiques.

  • 1. Principe : la rupture conventionnelle peut être concomitante à des difficultés économiques

Il résulte de l’article L. 1237-16 du Code du travail que la rupture conventionnelle n’est pas applicable aux ruptures de contrats de travail résultant des accords collectifs de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) et des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE).

Par ailleurs, l’article L. 1233-3, alinéa 2 du Code du travail, relatif au licenciement économique, prévoit que les dispositions du chapitre III « licenciement économique », sont applicables à toute rupture du contrat de travail, à l’exclusion de la rupture conventionnelle.

Ainsi, le législateur a clairement envisagé que la rupture conventionnelle puisse intervenir dans un contexte de difficultés économiques, tout en conservant son régime distinct.

C’est en ce sens que s’est prononcée la Direction Générale du Travail, dans son instruction n° 02 du 23 mars 2010 relative à l’incidence d’un contexte économique difficile sur la rupture conventionnelle d’un contrat de travail à durée indéterminée.

L’Administration a rappelé dans cette instruction que la rupture conventionnelle résulte de la seule volonté des parties au contrat de travail, sans qu’il y ait lieu d’en rechercher le motif.

Par suite, pour l’Administration, une rupture conventionnelle « peut intervenir alors même que l’entreprise rencontre des difficultés économiques qui l’amènent à se séparer de certains de ses salariés » et « sauf exception, il n’y a pas lieu de rechercher la motivation (éventuellement économique : baisse d’activité, etc.) de l’employeur, puisque la rupture conventionnelle procède de la volonté des parties. »

Il en résulte que l’employeur peut utiliser la rupture conventionnelle, et ce même s’il diligente concomitamment des licenciements économiques, voire un PSE.

A ce sujet, la circulaire DGT n° 2009-04 du 17 mars 2009 relative à la rupture conventionnelle d’un contrat à durée indéterminée avait clairement indiqué « qu’un contexte économique difficile pour l’entreprise, voire un PSE circonscrit à d’autres emplois, ne sont pas à eux seuls suffisants pour exclure l’application de la rupture conventionnelle. »

Dans un arrêt du 26 février 2010 (n° 09-951), la Cour d’appel de Nancy a fait application de ces principes, estimant qu’en dépit de difficultés économiques, le contrat de travail d’un salarié pouvait valablement faire l’objet d’une rupture conventionnelle pour des motifs personnels (longueur et coût de ses trajets entre son domicile et son lieu de travail à la suite d’un regroupement d’activités en un lieu unique).

  • 2. Exception : la rupture conventionnelle ne peut contourner les règles relatives au licenciement économique

Dans un arrêt du 9 mars 2011 (Cass. soc. 9 mars 2011, n° 10-11.581), la Cour de cassation a jugé que lorsqu’elles ont une cause économique et s’inscrivent dans un processus de réduction des effectifs dont elles constituent la ou l’une des modalités, les ruptures conventionnelles doivent être prises en compte pour déterminer la procédure d’information et de consultation des représentants du personnel applicable ainsi que les obligations de l’employeur en matière de PSE.

Cette solution est logique : s’il est établi que la rupture conventionnelle est motivée par des difficultés économiques, elle doit nécessairement obéir aux règles de forme et de fond applicables au licenciement économique.

Dans l’arrêt susvisé, la Cour d’appel avait ainsi constaté que de nombreuses ruptures conventionnelles résultant d’une cause économique étaient intervenues dans un contexte de suppressions d’emplois dues à des difficultés économiques et qu’elles s’inscrivaient dans un projet global et concerté de réduction des effectifs au sein d’une unité économique et sociale.

La Cour de cassation rejoint ainsi la position de l’Administration, qui considère que « dès lors que le recours à la rupture conventionnelle concerne un nombre important de salariés et que cela a pour effet de priver ces salariés du bénéfice des garanties attachées aux licenciements collectifs, l’autorité administrative devra vérifier l’existence ou non d’un contournement des procédures de licenciement collectif justifiant un refus d’homologation de la rupture conventionnelle. » (Instruction DGT n° 02 du 23 mars 2010 précitée).

  • 3. Conséquences pratiques

Deux questions au moins se dégagent de cette distinction difficile à opérer entre les ruptures conventionnelles qui peuvent intervenir en présence de difficultés économiques et celles qui masquent une rupture fondée sur une cause économique.

  • a) Comment établir si la rupture conventionnelle dissimule ou non une rupture fondée sur un motif économique ?

Dans la mesure où la rupture conventionnelle n’est pas motivée, il est délicat d’établir si elle repose en réalité sur un motif économique.

Dès lors, l’employeur, mais aussi le salarié, sont exposés à une insécurité juridique.

La Direction Générale du Travail, dans son instruction n° 02 du 23 mars 2010 précitée, a fourni des indices pouvant caractériser le recours abusif à la rupture conventionnelle pour éviter un PSE :

  • 10 demandes d’homologation sur une même période de 30 jours ;
  • Au moins une demande sur une période de 3 mois, faisant suite à 10 demandes s’étant échelonnées sur la période de 3 mois immédiatement antérieure.
  • Une demande au cours des 3 premiers mois de l’année faisant suite à plus de 18 demandes au cours de l’année civile précédente.
  • Des demandes d’homologation qui se combinent avec des licenciements pour motif économique aboutissant aux dépassements de ces mêmes seuils.

Pour l’Administration, l’appréciation du contexte économique peut également ressortir de documents de l’entreprise faisant état de difficultés économiques (compte rendus de réunions de CE, expertises économiques, demandes d’indemnisation au titre du chômage partiel, etc.).

Ces critères administratifs sont cependant imparfaits puisqu’ils ne visent que le PSE (applicable lorsqu’au moins 10 licenciements sont envisagés sur une période de 30 jours dans une entreprise d’au moins 50 salariés).

En tout état de cause, si l’employeur et le salarié veulent sécuriser leur rupture conventionnelle dans un contexte de difficultés économiques, il leur est tout à fait possible d’énoncer le motif distinct pour lequel cette rupture est conclue (ex. dans un compte-rendu d’entretien signé des deux parties, dans la convention accompagnant le formulaire Cerfa, etc.).

  • b) Quel est le sort de la rupture conventionnelle dissimulant une rupture fondée sur un motif économique ?

Dans l’arrêt précité du 9 mars 2011, la Cour de cassation a considéré qu’un comité d’entreprise et des syndicats pouvaient solliciter des dommages-intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement limitée au seul projet de 18 licenciements économiques alors que les suppressions d’emploi étaient plus importantes compte tenu des nombreuses ruptures conventionnelles intervenues concomitamment.

En revanche, la Cour de cassation a également considéré que le comité d’entreprise et les syndicats n’étaient pas recevables, faute de qualité, à demander l’annulation de conventions de ruptures auxquelles ils n’étaient pas parties, une telle action ne pouvant être exercée que par les salariés concernés.

Si les salariés sont ainsi recevables à agir en annulation de la rupture conventionnelle, la Cour de cassation devra se prononcer sur le point de savoir quels sont les effets attachés à cette nullité.

Plusieurs juridictions du fond ont jugé que l’annulation d’une rupture conventionnelle emporte les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (ex. CPH Bobigny 6 avril 2010 n° 08-4910 ;
CA Riom 18 janvier 2011 n° 10-658), ce qui exclut toute possibilité de réintégration.

Me Xavier Berjot – Avocat Associé
OCEAN AVOCATS
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