Le CNE en sursis (synthèse)

Le CNE en sursis (synthèse)

Cet article a fait l objet d une publication au Journal du Palais de Bourgogne(a), le 17 juillet 2007

Nouvel épisode pour le Contrat Nouvelles Embauches (CNE) : un arrêt de la Cour d Appel de Paris du 6 juillet 2007, en sonne le glas. Le sort de la mesure ne dépendra plus que de la Cour de Cassation. L insécurité juridique du CNE est connue(1) : la liberté de rupture unilatérale en période de consolidation dans l emploi serait non conforme à la convention internationale n°158 de l OIT. Ce contrôle de conventionalité est ouvert aux juridictions civiles (2).

Les conclusions de l’arrêt sont simples : l ordonnance créant le CNE déroge aux normes internationales pour la période de consolidation dans l emploi ; ce n est admissible qu autant que celle-ci présente une « durée raisonnable », comme en dispose la convention internationale ; or, cette durée de 2 ans ne l est pas. Donc, il faut écarter l application de l ordonnance et revenir au droit commun.

Le CNE déroge aux normes internationales

L existence d un motif valable de rupture (3) est exigée par la convention. La théorie de la motivation implicite de la rupture est réfutée. La validité de la rupture s apprécierait en fonction d une pratique nationale appropriée, laquelle serait l exigence d un motif réel et sérieux. Enfin, le Conseil Constitutionnel a posé des limites à la rupture contractuelle unilatérale (4), dont l information du cocontractant sur les causes, inexistante.

Faute d énonciation, la preuve du motif de rupture ne peut reposer sur le seul salarié et il y a une « contradiction insurmontable » à demander aux juges « l appréciation du bien-fondé du licenciement sans [pouvoir] exiger de l employeur qu il rapporte la preuve de son motif ».

Enfin, les garanties de défense du salarié doivent être assurées, que les motifs soient ou non disciplinaires : le respect de la procédure disciplinaire, principe général du droit du travail (5), ne suffit pas.

Le caractère déraisonnable de la période de consolidation

Les dérogations sont indéniables, mais admissibles si le délai de 2 ans est raisonnable. Toute référence à ce qui a été jugé en matière d essai (6) est impossible, la période de consolidation dans l emploi ne lui étant pas assimilable.

La Cour d Appel est sévère : le salarié est privé « de l essentiel de ses droits en matière de licenciement » ; seul reste applicable l abus de droit dont la preuve reste à la charge du salarié, ce qui est qualifié de « régression » ; enfin les principes fondamentaux du droit du travail (7) ne seraient pas respectés.

Arguer de l importance de la dérogation, ce dont nul ne disconvient, permet-il d apprécier le caractère déraisonnable de la durée de 2 ans ? L argumentation des conseillers prud homaux (8) semblait plus pertinente : « une durée unique, d ordre public, ne dépendant pas des circonstances propres à chaque emploi est nécessairement déraisonnable »Ƽbr />

L une des motivations des juges est tirée de l’efficacité de la lutte contre le chômage : « la protection des salariés dans leur emploi semble être un moyen aussi pertinent que les facilités données aux employeurs pour les licencier » ; il « est pour le moins paradoxal d’encourager les embauches en facilitant les licenciements ». Portant sur l opportunité de la mesure, elle s expose à la critique, mais peut être considérée comme surabondante : les cris d orfraie sur le gouvernement des juges seraient alors bien inutiles.

Les dindons de la farce risquent d être ceux qui se sont risqués au CNE. Toute réforme du contrat de travail à venir ne pourra se faire avec autant d approximations que n en a recelé le CNE!

© Jean-Michel DORLET –  8 juillet 2007

Pour une analyse plus approfondie…Lire


(1) CNE : le Leurre de la Liberté de rupture, Journal du Palais de Bourgogne, 21 mars 2006

(2) Tribunal des Conflits 19 mars 2007, Préfet de l’Essonne c/ Cour d’Appel de Paris : commentaires sur le site droitdutravailenligne.hautetfort.com

(3) lié à l aptitude ou à la conduite du travailleur, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l entreprise (article 4)

(4) Décision du Conseil Constitutionnel du 9 novembre 1999, n° 99-419

(5) Conseil d Etat du 14 octobre 2005, CGT et autres

(6) Ch. soc. 29 mars 2006, n° de pourvoi : 04-46499

(7) non précisés par la Cour d Appel et qui sont mentionnés comme « dégagés par la jurisprudence et reconnus par la loi », ce qui est contestable

(8) Conseil des Prud’hommes de Longjumeau, 28 avril 2006, Melle D. c/ M. S.

(a) Le Journal du Palais de Bourgogne – L’hebdo économique régional – Tél: 03 80 68 25 55