- 1.
Dans cette affaire, une salariée a été engagée le 7 février 2001 en qualité de chef comptable. Le 7 juillet 2006, elle a été placée en arrêt de travail à la suite d’un vif incident l’ayant opposée à son supérieur hiérarchique. Elle a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur le 10 août 2006 et a, consécutivement, saisi le Conseil de prud’hommes.
La Cour d’appel de Nîmes, amenée à statuer sur ce litige, a estimé que la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail par l’intéressée s’analysait en une démission et l’a déboutée de ses demandes d’indemnités liées à la rupture.
Les juges du fond ont, en effet, estimé :
- que les manquements reprochés par la salariée étaient sans rapport avec la nature et la gravité des faits dont elle s’estimait avoir été victime ;
- que cette dernière ne saurait exiger de son employeur un soutien inconditionnel et une condamnation d’une sévérité exemplaire à l’égard du supérieur hiérarchique susmentionné alors que les deux salariés ont concouru à dramatiser un événement anodin qui aurait parfaitement pu se solutionner dans une ambiance plus apaisée, que les violences reprochées se situaient dans un épisode ponctuel, aucun antécédent n’étant établi, que les blessures, qui ont été occasionnées dans des circonstances indéterminées, ne présentaient aucune gravité, que la réaction de l’employeur, qui a mis en garde le supérieur hiérarchique et lui a rappelé les règles élémentaires de courtoisie, a été d’une parfaite objectivité et justement adaptée à la réalité de la situation.
La Cour de cassation a pourtant censuré ce raisonnement.
Elle a rappelé, en effet, que l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité de résultat à l’égard des travailleurs.
Plus précisément, elle a estimé que « manque à cette obligation lorsqu’un salarié est victime sur le lieu de travail de violences physiques ou morales, exercées par l’un ou l’autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements ».
- 2.
La solution – pour critiquable qu’elle soit sur le plan pratique – ne saurait surprendre.
L’article L. 4121-1 du code du travail dispose :
« L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
- 1° Des actions de prévention des risques professionnels ;
- 2° Des actions d’information et de formation ;
- 3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes ».
Depuis le début des années 2000, la Cour de cassation a élaboré une jurisprudence de plus en plus sévère envers les employeurs en matière de santé au travail sur le fondement de ce texte.
Ainsi, les arrêts du 28 février 2002 précisent qu’ « en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers ce dernier d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les accidents du travail ; que le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ».
Cette jurisprudence, particulièrement médiatisée dans la mesure où il s’agissait des fameux arrêts « amiante », a largement été développée par la Haute juridiction depuis.
Par exemple, la Cour de cassation a jugé, sur ce fondement, que l’employeur doit prendre des mesures efficaces pour éviter le tabagisme passif ; à défaut, la prise d’acte de la rupture d’un salarié non-fumeur est justifiée (Cass. Soc. 29 juin 2005).
Autre exemple, la Cour de cassation a jugé que l’obligation patronale de protection de la santé et de la sécurité est méconnue, lorsque l’employeur, averti de la situation de danger, s’est abstenu d’y mettre fin et de garantir la santé physique et morale d’un salarié agressé (Cass. Soc. 7 février 2007).
Au début de l’année 2010, la Haute juridiction a, de nouveau, accentué les obligations mises à la charge des entreprises en affirmant que « l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à cette obligation lorsqu’un salarié est victime sur le lieu de travail de violences physiques ou morales, exercées par l’un ou l’autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements » (Cass. Soc. 3 février 2010).
C’est cette même motivation qui est reprise par la Haute juridiction dans son arrêt du 15 décembre dernier.
- 3.
Compte tenu de ce qui précède, l’on ne peut que conseiller aux entreprises de faire preuve de la plus grande vigilance en matière de protection de la santé au travail.
Il est, en effet, nécessaire d’agir en amont afin de prévenir ce type de risque, notamment à l’occasion de l’élaboration du document unique et, d’une manière générale, en sensibilisant le personnel sur ces problématiques.
Cette démarche de prévention peut également être mise en oeuvre en faisant intervenir les partenaires sociaux et, en particulier, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), ainsi que la médecine du travail ou encore des consultants extérieurs spécialisés sur ces questions.
Mickaël d’Allende
Avocat à la Cour
Spécialiste en droit social
45, rue de Tocqueville – 75017 Paris
Tél : 01 79 97 92 77 – Fax : 01 79 97 97 45