Prise d acte de rupture du contrat de travail : mode d emploi

I. Une rupture à la seule initiative du salarié

Seul le salarié peut rompre le contrat de travail pour ce motif.

Il s en suit que ce mode de rupture n est pas envisageable pour l employeur, qui lorsqu il estime qu un salarié ne respecte pas ses obligations, doit prendre l initiative de la rupture du contrat en engageant la procédure de licenciement (Cour de cassation du 25 juin 2003, pourvoi 01-40235).

II. Prise d acte en raison de griefs envers l employeur

La prise d acte de rupture du contrat de travail par le salarié implique que ce dernier invoque des griefs envers son employeur. Ainsi les griefs invoqués doivent être suffisamment importants pour qu ils puissent ensuite être reconnus « fondés » par le conseil de prud hommes.

Les conséquences sont importantes :

  1. Les griefs sont fondés : la prise d acte produit les effets d un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou d un licenciement nul ;
  2. Les griefs ne sont pas fondés : la prise d acte produit les effets d une démission.

C est en quelque sorte une sorte de « pari sur l avenir » que prend le salarié en rompant le contrat de travail par ce mode.

III. Exemples de griefs reconnus fondés

De très nombreux arrêts ont été rendus par la Cour de cassation.
Parmi ces arrêts, notons ceux pour lesquels les griefs invoqués par le salarié ont été reconnus fondés :

  • Le salarié qui reproche à l’employeur le non respect du droit au repos hebdomadaire (Cour de cassation 7 octobre 2003, n° 01-44635 D) ;
  • Le salarié qui reproche à son employeur de ne pas lui avoir versé les salaires qui lui étaient conventionnellement garantis pendant son arrêt maladie (Cour de cassation du 06/07/2004 n° 02-42642 FD) ;
  • Le salarié qui reproche à son employeur le non paiement d heures supplémentaires (Cour de cassation du 25/05/2004 n° 02-43042 FD et 01/12/2004 n° 02-46231 FD).

IV. Exemples de griefs qui n ont pas été reconnus fondés

A contrario, la Cour de cassation s est prononcée sur la prise d acte et a considéré que les griefs invoqués n étaient pas fondés :

  • Le salarié qui reproche à l’employeur des retards dans le paiement des salaires alors que ce retard provenait en fait de la présence de jours fériés dans le calendrier et que cela avait décalé le paiement d une journée ou deux (Cour de cassation du 19/01/2005 n° 03-45018) ;
  • Le salarié qui reproche le non-paiement d’heures supplémentaires, alors qu il dispose en outre d une totale autonomie pour organiser son travail et que la réalité des heures supplémentaires n’a pas été établie (Cour de cassation du 17/07/2007 n°06-40630).

V. Pour quels salariés ?

Seul le salarié en CDI peut utiliser ce mode de rupture, les salariés sous contrat CDD ne peuvent de leur côté que rompre leur contrat de façon anticipée pour des motifs strictement encadrés par le code du travail, à savoir notamment pour conclure un contrat en CDI chez un autre employeur ou en accord avec ce dernier.

Précision importante, un salarié « protégé » peut également prendre acte de la rupture du contrat de travail.

VI. Prise d acte : rupture immédiate du contrat

La prise d acte de rupture du contrat par le salarié a pour effet de rompre immédiatement sans qu aucun préavis ne soit effectué.
Nota : le salarié peut accomplir (ou offrir d accomplir) « spontanément » son préavis, sans que cela puisse remettre en cause la prise d acte.

VII. Une rupture du contrat qui s impose à l employeur

La prise d acte de rupture du contrat de travail s impose à l employeur, qui ne peut s y opposer, sans toutefois qu il soit contraint à en accuser réception.

VIII. Prise d acte : à quel moment ?

La prise d acte de rupture du contrat de travail peut intervenir à tout moment, il convient néanmoins de tenir compte de certaines circonstances.

1. Prise d acte et entretien préalable

Le salarié convoqué à un entretien préalable ou qui a déjà assisté à cet entretien peut utiliser ce mode de rupture, le contrat de travail étant toujours en vigueur.

2. Prise d acte et notification du licenciement

A contrario, la prise d acte n est pas envisageable dans cette situation, compte tenu du fait que le contrat de travail est déjà rompu.
Rappel : on entend par notification du licenciement, la date d envoi de la lettre de licenciement ou la date à laquelle la lettre est remise en main propre.

3. Prise d acte et saisine du Conseil de Prud hommes

La prise d acte peut aussi intervenir alors que le salarié a engagé une procédure auprès des prud hommes contre son employeur en exécution d une obligation en lien avec le contrat de travail.

4. Pas de prise d acte pendant la période d essai

Un récent arrêt de la Cour de cassation (arrêt du 7 février 2012, n° de pourvoi 10-27525) confirme que sans remettre en cause la possibilité pour le salarié de rompre le contrat de travail pendant la période d essai, la prise d acte n est pas envisageable durant cette période.

IX. Prise d acte : sous quelle forme ?

Compte tenu du fait qu actuellement la prise d acte n est pas encore présente réellement sur le code du travail, ce mode de rupture n est soumis à aucun formalisme.

La plupart du temps, le salarié adresse une lettre recommandée avec avis de réception, ou il remet son courrier directement à l’employeur (lettre remise en main propre contre décharge).
Cela a l avantage de dater précisément la prise d’acte et de ne laisser aucun doute sur le mode de rupture.

X. Prise d acte : établissement du solde de tout compte

La prise d acte de rupture du contrat par le salarié a pour effet de rompre immédiatement le contrat de travail, l employeur doit de ce fait réaliser le « solde de tout compte ».
Le solde de tout compte entrainera donc l obligation pour l employeur de remettre les documents suivants :

  • Le dernier bulletin de salaire du mois ;
  • Un certificat de travail ;
  • L attestation Pôle emploi;
  • Un reçu pour solde de tout compte.

1. Précision concernant l attestation destinée au Pôle emploi :

L employeur doit alors utiliser la case « autre motif » en précisant «Prise d acte de la rupture du contrat par le salarié ».

2. Précision concernant l indemnité compensatrice de congés payés :

La prise d acte met fin au contrat de travail immédiatement.
L indemnité compensatrice de congés payés doit être calculée donc à la date de la prise d acte de la rupture (d où l intérêt de confirmer cette date pour éviter toute confusion ultérieure).

XI. La prise d acte et ses conséquences financières

Comme nous vous l indiquions au premier chapitre, la prise d acte peut :

  • Produire les effets d un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les griefs invoqués sont fondés (ou d un licenciement nul s il s agit d un salarié protégé) ;
  • Produire les effets d une démission si les griefs invoqués ne sont pas jugés fondés.

1. La prise d acte produit les effets d un licenciement sans cause réelle et sérieuse

Dans ce cas, de nombreuses indemnités sont alors à la charge de l employeur :

  • L indemnité de licenciement (l ancienneté prise en compte est celle constatée à la prise d acte) ;
  • L indemnité compensatrice de préavis (la prise d acte ayant rompu le contrat immédiatement) ;
  • L indemnité compensatrice de congés payés au titre du préavis non effectué (calculée au 1/10ème de la précédente indemnité) ;
  • Des dommages et intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, dont la valeur varie selon la taille et l ancienneté du salarié dans l entreprise ;
  • Un éventuel remboursement des allocations chômage versées par Pôle emploi (dans la limite d une durée de 6 mois) ;
  • Une éventuelle indemnisation au titre du DIF (arrêt de la Cour de cassation du 18/05/2011 pourvoi 09-69175).

2. La prise d acte produit les effets d une démission

Dans ce cas, les griefs invoqués par le salarié n ont pas été reconnus comme pouvant justifier la prise d acte, et le « pari sur l avenir » que nous évoquions au début de notre article est perdu.
Aucune somme n est versée par l employeur mais le salarié peut être redevable, a contrario, du paiement de l indemnité compensatrice de préavis, la prise d acte ayant rompu le contrat de travail immédiatement, le salarié n a donc pas respecté de préavis.